Un or rendu au jour : la peinture de Françoise Dechaume
On le sait, la peinture s’abreuve d’une « photographie ». Elle tire sa dimension phénoménale d’une projection de jour sur la matière raisonnée du cadre. Elle anime sa proposition depuis une source lumineuse conçue en l’idéation pratique. En un mot, elle est la mouche, la cible subjective d’une source absentée issue d’une essence au travail qui en est le même, qui lui est coextensive.
Sa condition d’âme, sa condition d‘animation, son entéléchie, est l’émanation d’un vecteur lumineux sis en l’esprit au travail, à l’œuvre. Le cadre est une nuit portée au jour par le jour d’un travail de l’esprit, il est cette griffe de jour qu’une nuit éponge, contient, ravit, emprisonne, engloutit pour aller, autonome de sa source, éclairer « là-bas si j’y suis ». Ce mouvement du geste pictural vers le cadre, en quoi consiste la projection lumineuse, est le plus souvent missionnaire, unilatéral ; il engendre une passivité de la figure qui s’abreuve de jour et ne rend point, ne rend pas grâce, n’entre pas en émulation photographique avec le peintre. C’est un trait définitoire de la méchante peinture que cette tentation de la nuit animée de jour de ne pas rendre au jour le jour reçu, de bouder à la réciproque, d’être pingre en illumination de la scène esthétique, du rapport pragmatique, de la confrontation au regard. Ainsi, a contrario, le Vermeer de Proust est-il ce projecteur, ce projeteur d’or sur le front d’une nuit Golem, qui anime la nuit. Et à l’endroit précis où il l’est le plus, il est peintre au carré. Ce n’est que cela et c’est magnifiquement cela, le « petit pan de mur jaune » : le lieu où la peinture atteint son acmé en restituant à l’esprit le jour qu’il lui a destiné. La peinture de Françoise Dechaume vaut par cela qu’à la façon de celle de Rouault, de Chagall, de Dufy, de Leroy, d’Auerbach, elle sait ménager en sa nuit des aires colorées qui sont autant de restitutions gracieuses au jour de l’offrande spirituelle reçue, autant de réponses, de résonances, d’échos généreux offerts à cette main spirituelle et séminale dont elle tient son être phénoménal. Si cette œuvre est si peinture -et si peu « contemporaine »-, c’est qu’elle ne doit de s’activer en l’espace qu’à cette gratitude farouche par laquelle elle rend à l’esprit et au geste le jour qu’elle leur doit, le conservant toutefois bien entier, à la fois reconnaissante et indépendante, parfaitement objet devant son créateur et parfaitement son homologue. Ainsi les figures tendent-elles, chez Françoise Dechaume, à s’effacer devant un halo de fond, une illumination postérieurs à toute forme qui en font les accessoires de la machination, interne à l’œuvre, d’un jour rendu au jour, d’une façon de repons de jour. Ce qui hante le travail de Françoise Dechaume est volontiers saisi à contre-jour d’une poussée lumineuse dont la direction rencontrerait celle du jour donné au « premier principe » de sorte que se replie, que s’accomplisse sur le monde, sur le forum de ses motifs, de son peuple au couvert intimidé d’une ombre paradoxale, l’enclos ou bien le globe d’un or qui lui est tout.
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Les passantes d'Agua Santa
Aux dires de l'artiste, "C'est une enfant qui songe aux êtres qui ont marqué son enfance. Il est
possible d'imaginer l'inverse : les 3 êtres qui pensent à cet enfant disparue".
Et de se demander si la formation digitale de cette "énergie figurale" (Jean-François Lyotard,
Économie libidinale) - puisque la peintre façonne à la main ses silhouettes empâtées sans pinceaux -
impose à l'imagination même de la faiseuse d'images ou de son lecteur une autre dimension que
celle de l'espace narratologique ouvert par la composition réflexive de l'enfant admoniteur.
La nudité pudique des Ménines perdues dans l'analyse miroirique du philosophe Michel Foucault
nous reviendra, la leçon de l'émotion heurtée en plus ! Et loin de la nervosité oblique de celles peintes
par Picasso ou de la torpeur de la version de Louis Cane, on assiste ici à un rangement si équilibré
des couleurs qu'on se demande si l'expérience d'activation de cet équilibrage a eu lieu dans le
moment de la main à la toile sans passer par quelconque autre langage : les passantes de Françoise
Dechaume convoque une belle archéologie des Ménines.
La vision de l'artiste aurait-elle été incarnée en peinture avant d'être traduite par des mots ? L'artiste
peintre reste évasive sur ce qu'elle a en tête lorsqu'elle se met à peindre : pour reprendre ses mots,
elle "entre" plutôt "en peinture", à l'aventure d'une tactilité découvrant son destin figuratif au contact
de l'autonomie des pâtes, des poudres diluées au départ même de la surface de ses cuisses pour
l'occasion devenue palette.
Mains, doigts, cuisses, cette plongée corporelle dans l'antécédence structurelle de l'acte de
civilisation qu'est la peinture avec ses pinceaux et autres outils amène cette artiste a considérer le
médium pictural au moment ou elle le dilue et l'étale par incises comme, je la cite, sa propre "bave".
C'est peut-être du coup un "I paint myself out of the picture" (Willem De Kooning se voyait se peindre
en dehors du tableau) qui la conduit puisque sans outils, au milieu de l'espace substantiel de la
création, l'émergence figurale sur la toile est l'empreinte négative de son corps en train de figurer
avant d'être la copie de ce qu'elle peut se figurer avant de peindre.
Ce respect du mouvement figural en son moment de réalisation (de "faisance" dirait René Passeron)
expliquera la distanciation poétique qu'elle accorde aux mots décrivant ses tableaux, comme si
l'espace littéraire et l'espace plastique s'entendaient tous deux à contempler l'intégrité d'une émotion ;
c'est-à-dire sa séparation vis-à-vis de l'effet pervers par lequel un médium chargé de la traduire la
réduirait dans sa traduction dans un autre. D'ailleurs, selon l'artiste, le titre de cette œuvre, Les
passantes d'Agua Santa, n'a rien à voir avec le tableau.
En affrontant le broiement par la peinture des regards d'emblée désignés - ici, c'est le pastel gras au
premier plan qui rabat le sujet de la disparition de l'enfant dans son traitement -, cette pensée
picturale de la main par l'oeil recrie l'autonomie de l'œuvre de Manet en remplaçant le traitement au
couteau du corps nu de l'Olympia par le traitement matiériste digital ; ce qui du point de vue
contemporain a le mérite de reposer la question de l'origine du geste imaginant pariétal en dehors de
la technologie de l'outil.
Eu égard à la notion de disparition, Les passantes d'Agua Santa parle de la famille des peintures
figuratives au sens de ce qui, en notre contact à la matière même du monde - pour autant que nous
en faisons partie (Georg Simmel) -, précède l'émergence de ladite figurabilité. Il y a parfois dans un
tableau de petites dimensions des dimensions infiniment plus grande que dans un grand.
Julien Honnorat
possible d'imaginer l'inverse : les 3 êtres qui pensent à cet enfant disparue".
Et de se demander si la formation digitale de cette "énergie figurale" (Jean-François Lyotard,
Économie libidinale) - puisque la peintre façonne à la main ses silhouettes empâtées sans pinceaux -
impose à l'imagination même de la faiseuse d'images ou de son lecteur une autre dimension que
celle de l'espace narratologique ouvert par la composition réflexive de l'enfant admoniteur.
La nudité pudique des Ménines perdues dans l'analyse miroirique du philosophe Michel Foucault
nous reviendra, la leçon de l'émotion heurtée en plus ! Et loin de la nervosité oblique de celles peintes
par Picasso ou de la torpeur de la version de Louis Cane, on assiste ici à un rangement si équilibré
des couleurs qu'on se demande si l'expérience d'activation de cet équilibrage a eu lieu dans le
moment de la main à la toile sans passer par quelconque autre langage : les passantes de Françoise
Dechaume convoque une belle archéologie des Ménines.
La vision de l'artiste aurait-elle été incarnée en peinture avant d'être traduite par des mots ? L'artiste
peintre reste évasive sur ce qu'elle a en tête lorsqu'elle se met à peindre : pour reprendre ses mots,
elle "entre" plutôt "en peinture", à l'aventure d'une tactilité découvrant son destin figuratif au contact
de l'autonomie des pâtes, des poudres diluées au départ même de la surface de ses cuisses pour
l'occasion devenue palette.
Mains, doigts, cuisses, cette plongée corporelle dans l'antécédence structurelle de l'acte de
civilisation qu'est la peinture avec ses pinceaux et autres outils amène cette artiste a considérer le
médium pictural au moment ou elle le dilue et l'étale par incises comme, je la cite, sa propre "bave".
C'est peut-être du coup un "I paint myself out of the picture" (Willem De Kooning se voyait se peindre
en dehors du tableau) qui la conduit puisque sans outils, au milieu de l'espace substantiel de la
création, l'émergence figurale sur la toile est l'empreinte négative de son corps en train de figurer
avant d'être la copie de ce qu'elle peut se figurer avant de peindre.
Ce respect du mouvement figural en son moment de réalisation (de "faisance" dirait René Passeron)
expliquera la distanciation poétique qu'elle accorde aux mots décrivant ses tableaux, comme si
l'espace littéraire et l'espace plastique s'entendaient tous deux à contempler l'intégrité d'une émotion ;
c'est-à-dire sa séparation vis-à-vis de l'effet pervers par lequel un médium chargé de la traduire la
réduirait dans sa traduction dans un autre. D'ailleurs, selon l'artiste, le titre de cette œuvre, Les
passantes d'Agua Santa, n'a rien à voir avec le tableau.
En affrontant le broiement par la peinture des regards d'emblée désignés - ici, c'est le pastel gras au
premier plan qui rabat le sujet de la disparition de l'enfant dans son traitement -, cette pensée
picturale de la main par l'oeil recrie l'autonomie de l'œuvre de Manet en remplaçant le traitement au
couteau du corps nu de l'Olympia par le traitement matiériste digital ; ce qui du point de vue
contemporain a le mérite de reposer la question de l'origine du geste imaginant pariétal en dehors de
la technologie de l'outil.
Eu égard à la notion de disparition, Les passantes d'Agua Santa parle de la famille des peintures
figuratives au sens de ce qui, en notre contact à la matière même du monde - pour autant que nous
en faisons partie (Georg Simmel) -, précède l'émergence de ladite figurabilité. Il y a parfois dans un
tableau de petites dimensions des dimensions infiniment plus grande que dans un grand.
Julien Honnorat
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Matin de Brume
Matin de Brune, un charnier transfiguré en amour ; une femme se réveille si
majestueusement emprisonnée dans l'aube organique de la peinture. Après la
seconde guerre mondiale, "Le gobeur d'oursins" de Picasso avait dit l'acceptation
de cette pliure de la figure humaine face et à l'intérieur des bords du format
du tableau-monde dans lequel elle ne rentre pas. Et la fameuse série des
"Women" de Willem De Kooning avait rapproché la carnation du corps féminin
de la déliquescence de la peinture.
Cette femme ou ce bout de femme d'un matin de brune - comme si l'atmosphère
avait été absorbée par le corps - est une œuvre qui semble avoir digéré
sans rancœur la déconstruction et l'expression pathologique du vingtième
siècle figuratif, et cela jusqu'à montrer le processus de décomposition de la
représentation comme un émerveillement.
Nous sommes au début du vingt-et-unième siècle et, à part peut-être
certaines toiles de la trans-avant-garde italienne de Mimmo Paladino, cette
émerveillement manque et manquait à la dynamique post-moderne déceptive
du néo-expressionnisme des années mille neuf cent quatre-vingt. Merci donc
Françoise Dechaume pour cette leçon d'éveil.
Matin de Brune, un charnier transfiguré en amour ; une femme se réveille si
majestueusement emprisonnée dans l'aube organique de la peinture. Après la
seconde guerre mondiale, "Le gobeur d'oursins" de Picasso avait dit l'acceptation
de cette pliure de la figure humaine face et à l'intérieur des bords du format
du tableau-monde dans lequel elle ne rentre pas. Et la fameuse série des
"Women" de Willem De Kooning avait rapproché la carnation du corps féminin
de la déliquescence de la peinture.
Cette femme ou ce bout de femme d'un matin de brune - comme si l'atmosphère
avait été absorbée par le corps - est une œuvre qui semble avoir digéré
sans rancœur la déconstruction et l'expression pathologique du vingtième
siècle figuratif, et cela jusqu'à montrer le processus de décomposition de la
représentation comme un émerveillement.
Nous sommes au début du vingt-et-unième siècle et, à part peut-être
certaines toiles de la trans-avant-garde italienne de Mimmo Paladino, cette
émerveillement manque et manquait à la dynamique post-moderne déceptive
du néo-expressionnisme des années mille neuf cent quatre-vingt. Merci donc
Françoise Dechaume pour cette leçon d'éveil.
Julien Honnorat
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Les œuvres de Françoise Dechaume sont, non seulement belles, mais aussi poétiques. La force du poète réside dans sa capacité à magnifier le réel. Françoise Dechaume ne peint pas seulement de belles oeuvres enluminées de couleurs et de formes, elle peint la vie. Regardez au plus près, regardez ces femmes, ces enfants, ces misères, ces joies. Le travail de Françoise expose dans sa nudité parfois cruelle, la vie et ses souffrances. Mais toujours, dans le secret d'une couleur, se trouve cachée une histoire extraordinaire. Une histoire qui nous dit que la vie parfois difficile, parfois peuplée de fantôme, n'en est pas moins une fête que l'on célèbre. Comme une poésie en somme, dont les versets sont des toiles qui enjolivent l'existence. C'est toute la force du travail de Françoise Dechaume et c'est aussi toute sa complexité.
Renaud Lebarbier
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Remarquable !
Et ces titres, morceaux choisi de mots aussi intenses que ce qui est à voir. J'aime beaucoup.
Et ces titres, morceaux choisi de mots aussi intenses que ce qui est à voir. J'aime beaucoup.
Valerie Vie
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Très profond et sincère.
Bruno Dargery
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UN MOT DE VOUS ME RAVIRAIT...
Thank you!
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